Les "processus équitables" dans les entreprises familiales (Fair Process)

Lorsque l'on doit prendre des décisions qui concernent la propriété ou la direction d'une entreprise familiale, on est inévitablement confronté à des questions de justice et d'équité. Ces questions se posent dans n'importe quel contexte humain, mais sont particulièrement fortes dans le contexte des entreprises familiales: Pourquoi mon cousin Harry a-t-il été nommé directeur général plutôt que mon frère Paul? Pourquoi mon oncle Georges a-t-il hérité de plus que ma tante Louisa? 

Les entreprises familiales sont à la fois un endroit où l'équité est fortement nécessaire et où elle est difficile à évaluer. Est-il juste que l'un gère l'entreprise parce qu'il fut le premier à naître et fut prêt à prendre des responsabilités plus tôt? Est-il préférable de donner des parts égales à tous les actionnaires plutôt que de donner une majorité à celui qui dirige? 

Ces questions sont importantes dans la plupart des entreprises familiales. Et il y a rarement une réponse unique évidente. C'est pourquoi, avec mes collègues à l'INSEAD, nous vous recommandons de mettre l'accent sur l'équité du processus par lequel ces décisions sont prises. 

Prenons le cas d'Anne. À la mort de son mari, elle reçut le contrôle de l'entreprise et la majorité des actions. Après quelques années, elle était lassée de gérer l'entreprise - et des conflits avec son beau-fils (son mari avait deux enfants d'un précédent mariage). Elle annonça qu'elle était sur le point de vendre l'entreprise, après avoir reçu deux offres spontanées. Ses deux enfants et ses deux beaux-enfants, âgés de 30 à 40 ans, furent choqués et exigèrent une réunion de famille pour discuter de la question. Ils se réunirent pendant deux jours avec un modérateur et envisagèrent une série d'options pour l'avenir. Chacun s’exprima, et ils utilisèrent une matrice de décision afin de donner plus d'objectivité à la décision. Ils arrivèrent à la même conclusion : la décision de vendre, mais à mener de manière plus pro-active, en prenant le temps de trouver la meilleure offre - en réalité, ils vendirent finalement l'entreprise plus de deux fois le prix initialement proposé.

Certains lecteurs seront déçus que l'entreprise ait été vendue, cependant l'implication des enfants dans la décision a conduit à une bien meilleure vente et à une plus grande acceptation ; elle a aussi permis de maintenir, dans la mesure du possible, les relations familiales. 

Cet exemple illustre l'importance du processus de prise de décision. La mère aurait pu vendre la majorité des parts de l'entreprise sans consulter la prochaine génération, mais elle aurait risqué de créer un conflit de famille de grande ampleur. En ouvrant la voie à une discussion, elle permit une décision collective, qui fut mieux acceptée et, en fin de compte, plus intéressante financièrement.

Un processus équitable dans les entreprises familiales englobe les «5 C» : 

  • Communication et voix : ceux qui sont concernés par la décision peuvent exprimer leur point de vue. Ceci génère plus d'options, augmente la participation et la motivation. 
  • Clarté : toutes les attentes individuelles, familiales et liées à la gestion sont clairement explicitées. 
  • Cohérence : les mêmes principes et règles sont appliqués à tous. 
  • Ouverture au Changement : un changement dans le contexte des affaires, de nouvelles informations ou des transitions dans le cycle de vie familial peuvent conduire à une révision des décisions ou des règles. 
  • Culture d'équité : il y a une volonté d'améliorer en permanence les processus, d'écouter et de communiquer avec sincérité. 

Les meilleures pratiques observées dans les entreprises familiales qui réussissent favorisent ce processus équitable. L'établissement de réunions de famille accroit la communication et la clarté. Le «monde extérieur», représenté par les membres externes du conseil d'administration, les gestionnaires non-familiaux ou les conseillers, oblige à la cohérence et peut également induire un changement. Enfin, les chartes familiales assurent clarté et cohérence, et offrent un cadre de référence utile. 

La recherche d’un processus équitable conduira à se demander: «Comment la nomination a-t-elle été décidée? En utilisant quels critères? Par qui? », et« Comment mes enfants préfèrent-ils travailler ensemble? "(Au lieu de : « Pourquoi le cousin Harry? » ou : « Dois-je donner plus à ma fille ou à mon fils? »). 

Les familles devront vivre avec de tels choix pendant des années, parfois des générations. Le temps supplémentaire requis pour engager ce processus équitable doit être considéré comme un investissement pour l'avenir, pour la performance de l'entreprise et la paix au sein de la famille. 

Christine Blondel